... à propos de Zec
Pascal Bonafoux, in "Zec,peintures, dessins, gravures", Somogy Editions d'Art, 2001. Tout ce que nous voyons, Fernando Pessoa , A. de Campos, Note à la mémoire de mon maître Caeiro
Aveu Longtemps j'ai différé le moment de commencer l'écriture de ces pages. Je ne sais que trop bien que je n'en viendrai pas à bout, que je ne viendrai pas à bout de l'œuvre de Zec. Prononcer ce nom Zetz . (Cette indication phonétique - incomplète, imprécise, ne change rien à l'affaire. Au moins permet-elle de moins écorcher ce nom qui claque comme un coup de fouet.) Si cependant je commence enfin, c'est parce que je ne peux me défiler. L'exigence de cette peinture est implacable. Parce que comme peu d'autres, elle somme de s'interroger sur ce qu'est la peinture même. La peinture de Z. impose de se passer de la convention d'une préface, genre singulier qui fait de la retape, qui racole. (Qui se fie aux exclamations d'éloges de ces textes?) Je ne suis pas si sûr qu'une préface ait pour rôle, pour première raison d'être de dissiper les malentendus.. Ou plutôt je crains que, sous prétexte de prétendre déchiffrer et de mettre en évidence les attendus d'une œuvre, d'en fourguer un mode d'emploi après en avoir déterminé la place avec l'abscisse de l'esthétique et l'ordonnée de l'histoire de l'art, elle ne se défile face à un malentendu essentiel. Au malentendu qu'est la peinture, que toute peinture doit avoir l'ambition d'être. Je ne veux, comme un index tendu, qu'inviter à voir cette œuvre.
Désarroi Pourquoi se priver de mettre immédiatement les points sur les i : une peinture est un malentendu. Et plus ce malentendu est indéchiffrable, plus il est complexe, brouillé, inextricable, plus il est sûr que la peinture à laquelle l'on a à faire est ce qu'elle doit être, plus il est certain que cette peinture s'accorde à l'exigence qui est celle de la Peinture. Ou, pour ne pas laisser place à la moindre équivoque, au moindre quiproquo, je dirais qu'une peinture qui n'est pas un malentendu est une croûte. Ou qu'elle a toutes les chances de l'être. Les toiles de Z. en sont une preuve pertinente. Parce qu'elle provoquent un désarroi dont on ne vient pas à bout. Précision de Proust : « Le peintre, l'artiste original, procéde à la façon des oculistes . » Le traitement, précise-t-il « n'est pas toujours agréable. Quand il est terminé, le praticier nous dit : Maintenant regardez. Et voici que le monde (qui n'a pas été créé une fois mais aussi souvent qu'un artiste original est intervenu) nous apparaît entièrement différent de l'ancien, mais parfaitement clair... ») Au bout du compte, c'est ce désarroi qu'il s'agit de fouiller.
Mise au point Désarroi, malentendu... L'inconfort accompagne ces mots... Mais il faut admettre que croire, qu'avoir pu croire que la peinture est affaire de certitude ou de certitudes - au singulier ou au pluriel -, est une erreur. Ou c'est avoir d'ores et déjà pris le parti des sectateurs qui ont affirmé il y a quelques années que la peinture est morte. Ceux-là ont besoin d'évidences. (Je ne peux que reprendre à mon compte ce propos de Diderot qui rappelle « qu'après avoir fait un art d'apprendre la musique, on en devrait bien faire un de l'écouter : et j'ajoute qu'après avoir fait un art de la poésie et de la peinture, c'est en vain qu'on en a fait un de lire et de voir ». Phrases qui expriment un regret qui ressemble à un dépit comme deux gouttes d'eau...) Quelques postulats - indémontrables comme il se doit - leur tiennent lieu de loi. L'art contemporain a eu au siècle dernier - le XXème - ses plombiers comme l'art académique a eu au XIXème siècle ses pompiers. Les « installations » - je ne mentionne que cet avatar de la modernité pour aller vite - mises en place sont régies par des critères aussi infaillibles et aussi implacables que ceux qui ont déterminé les règles scrupuleusement entretenues par les Bonnat, les Bouguereau, les Delaroche et autres Gerôme dont la peinture « substitue l'amusement d'une page érudite aux jouissances de la pure peinture ». La formule est de Baudelaire. Du Salon de 1859 pour être précis. A « l'amusement d'une page érudite » ont succédé des axiomes philosophiques et sociologiques. Les uns et les autres sont la même langue morte à laquelle des procédés tiennent lieu de grammaire. Inflexible infaillibilité de ceux qui savent quel est le sens de l'Histoire. Regarder Z., regarder la peinture, les gravures de Z., c'est devoir se passer des certitudes et de l'infaillibilité de l'art contemporain. Celles-ci ne le concernent pas.
Avertissement Il est hors de question de raconter ici la vie de Z. A quoi bon? Inutile de continuer de croire aux vertus de textes du genre « Un Tel, sa vie, son œuvre »... Certitude : la biographie d'un peintre, la biographie, ce genre qui tisse un récit avec la trame de l'Histoire - avec le H majuscule qui tient lieu d'arc de triomphe sous lequel défilent dans un ordre strictement chronologique les dates et les événements - et la chaîne des anecdotes qui ponctuent la vie de tout un chacun jour après jour, la biographie est un leurre. Quel incident, quelle épisode, quelle péripétie, décisive, change la donne d'une œuvre, en infléchit le cours? Affirmation de Pierre-Auguste Renoir: « Ce sont les couleurs en tubes facilement transportables qui nous ont permis de peindre complètement sur nature. Sans les couleurs en tubes, pas de Cézanne, pas de Monet, pas de Sysley, pas de Pissarro, pas de ce que les journalistes devaient appeler l'impressionnisme . » L'apparition du tube est un « événement » historique - pour être précis, c'est en 1841 que, pour la première fois, la maison G. Rowney and Co met à Londres à la disposition des peintres cette invention du peintre américain J. G. Rand. Si ce tube peut passer pour « expliquer » l'impressionnisme, s'il l'a rendu possible, la cause qu'il a été ne permet en rien de désigner ce qui est la singularité de l'œuvre de chacun de ceux dont Renoir lui-même énumère les noms. Démonstration (par l'absurde) de la vanité, de l'inutilité de la biographie. Récit de Jean Renoir à propos de son père alors à l'Estaque auprès de Cézanne: « Un pêcheur qu'ils connaissaient vaguement arrêtait Cézanne et lui dans la rue: « Hier soir vous avez mangé la bouillabaisse chez Marius. -Oui. -Il ne sait pas la faire. Venez ce soir à la maison et vous verrez! » Le lendemain, autre rencontre: « Hier au soir vous avez mangé la bouillabaisse chez Saturnin... il ne sait pas la faire... » Et ainsi de suite jusqu'à ce que le maire mette tout le monde d'accord en invitant les différents concurrents et « les peintres » à une bouillabaisse définitive . » Quelle influence eurent ces bouillabaisses sur les toiles alors peintes à l'Estaque par Renoir et Cézanne? Une biographie n'est au bout du compte qu'une énumération de bouillabaisses. Et aucune, quelqu'en soit la recette, aucune de quelqu'ordre qu'elle soit, n'est ni ne peut être la cause des formes neuves qu'une œuvre met à jour. Une œuvre n'incarne pas une vie. Elle incarne une volonté qui la dépasse. Les bouillabaisses de Z. ne sont pas différentes. Les seules dates qui vaillent sont celles qui dissipent les indécisions de l'anachronisme. Né en 1943 à Rogatica, en Bosnie-Herzégovine, Safet Zec peint. Et grave. Et dessine. En 1969 il a achevé ses études à l'Académie des arts figuratifs de Belgrade, capitale depuis 1946 de la République socialiste fédérative de Yougoslavie. Il est resté vingt ans à Belgrade. Rentré en 1989 à Sarajevo, il en est parti en 1992. Depuis lors, il travaille en Italie. Et il y travaille, à Udine et à Venise, comme il a travaillé à Belgrade ou à Sarajevo. Travail obstiné, régulier, patient. Travail sans relâche. Quête d'une liberté. Si dans le cours de la vie de Z., un événement a un sens, c'est celui-ci : jeune peintre remarqué par les autorités ad hoc, Z. a été requis pour peindre un portrait de Tito (Josip Broz, dit., Maréchal et homme d'Etat yougoslave, 1892-1980. Précision de dictionnaire.) Il l'a peint. Pour n'avoir plus de compte à rendre à qui que ce soit. Pour être libre de peindre ce qu'il avait à peindre. Ce portrait officiel n'a pas eu d'autre raison d'être que de lui permettre de s'arroger la liberté qui lui était nécessaire. Travail solitaire. En dehors de tout mouvement, de toute école. En dehors de tout manisfeste.
Atelier L'atelier de Z. Cet atelier est (peut-être) le lieu où, malgré lui sans doute, il laisse transparaître la quête qu'est sa peinture. Entrer dans l'atelier de Z., c'est devoir se souvenir tout à coup de ces mots de Degas : « On travaille pour soi, pour deux ou trois amis vivants, et pour d'autres qu'on n'a pas connus et qui sont morts . » Un atelier à Venise. (Je vous épargne une description du parcours de ponts, de ruelles creusées dans l'ombre de façades ocres, décrépites et sombres, de campi et de quais qui y mène.) Des pièces. L'une d'entre elles tient lieu de réserve. Toiles au long des murs. Espace rongé par des meubles aux vastes et larges plats tiroirs pour les gravures. Murs blancs. Un plafond presque bas. Une autre pièce. Des chevalets. Au long des murs, une large table sur des tréteaux. Quelques tubes. Des boites. Des bottes de pinceaux. Des... Des livres. Des carnets. Grands. Carrés. (J'y reviendrai.) Posées sur les carreaux, les tommettes du sol, au long des autres murs, des toiles. Formats divers. Presque toutes retournées contre le mur. Plusieurs toiles encore posées sur les cinq ou sept toiles tassées les unes derrière les autres. Toiles en instance d'être ce qu'elles doivent être pendant deux ou trois ans. Toiles en jachère d'apparitions. Quelques rares toiles accrochées aux murs. Et ici, là, des photographies, des reproductions fichées dans le mur avec des punaises, des épingles. Sur l'un des chevalets, une nature morte. Du moins ce jour-là était-ce une nature morte. Une bouteille, un bol, un torchon sur une table. Rien d'autre. Une ébauche encore. Une toile inachevée. Inachevée? Adjectif qui fit semblant de s'accorder à une ébauche, au rythme de balafres de coups de pinceaux. Or l'essentiel était là. Je ne sais quelle présence pertinente. Evidence qui rendait inconséquente, absurde, la question de savoir si la toile était ou n'était pas « achevée ». Ou « finie ». Le « fini »... Sachez qu'au début du siècle, du XXème siècle pour être précis, un Lexique des Termes d'art cautionné par le haut patronage de l'administration des Beaux-Arts et couronné par l'Académie française, en donna cette définition: « Se dit de l'exécution d'un tableau, lorsqu'il est terminé complètement et dans lequel aucun détail n'a été négligé. Comme exemple de fini, il faut citer la fameuse toile de Gérard Dow, la Femme hydropique . La miniature, les dessins de petite taille, exige un fini très soigné. Aux œuvres de grande dimension, au contraire un fini trop poussé ne donne que de la sécheresse . » Pour en finir avec le « fini » et l'« exemplaire » Femme hydropique de Dow, demandez-vous ce qui reste du « FINITISME » (n.m. et FINITISTE , adj.) cité par un scrupuleux Dictionnaire historique de la langue française et souvenez-vous d'une phrase de Cézanne - c'est une lettre de 1874 si je ne me trompe - qui écarte le « fini qui fait l'admiration des imbéciles ».
Donc, dans l'atelier de Z., cette toile posée sur un chevalet. Tout y est en place. Bol, bouteille, torchon. Et ce qui est là est je ne sais quelle présence irréfutable, je ne sais quel accident, au sens premier de ce mot qui désigne un événement imprévisible et essentiel, nécessaire. (Pourquoi ne pas en arriver à croire que Z. ait pu reprendre à son compte le conseil du peintre chinois Chang Yen-Yuan, du temps de la dynastie T'ang : « En peinture, on doit éviter le souci d'accomplir un travail trop appliqué et trop fini dans le dessin des formes et la notation des couleurs, comme de trop étaler sa technique, la privant ainsi de secret et d'aura. C'est pourquoi il ne faut pas craindre l'inachevé, mais bien plutôt déplorer le trop-achevé. Du moment que l'on sait qu'une chose est achevée, quel besoin y a-t-il de l'achever? Car l'inachevé ne signifie pas forcément l'inaccompli; le défaut de l'inaccompli réside justement dans le fait de ne pas reconnaître une chose suffisamment achevée . ») Une évidence donc. Ce qui est là, posé sur le chevalet, est la peinture même.
Références Il faut se souvenir de cette définition qui fut donnée en 1708 par Roger de Piles dans ses Cours de peinture par principes ?« La véritable peinture est donc celle qui nous appelle (pour ainsi dire) en nous surprenant; & ce n'est que par la force de l'effet qu'elle produit, que nous ne pouvons nous empescher d'en approcher, comme si elle avait quelque chose à nous dire . » La peinture de Z. est cette « véritable peinture » là. Avoir recours à un texte du début du XVIIIème siècle pour assurer de la pertinence d'une œuvre loin d'être achevée au début du XXIème peut sembler aussi inconséquent que saugrenu ou déraisonnable. Soit. Ce ne l'était pas moins de citer Proust. (Reste à remarquer, ne serait-ce qu'en passant, que la définition de de Piles, « la véritable peinture » est celle qui vous « appelle (...) en vous surprenant » n'est guère différente du traitement d'oculiste évoqué par Proust...) Le recours à de telles références ne semble incongru que si l'on oublie une chose, c'est que la peinture n'a pas cessé d'être anachronique. Qu'elle se doit d'être anachronique parce qu'il lui revient de tenir tête au Temps. Et non d'en rendre compte. La peinture est une mémoire anachronique qui ne se conjuge qu'au présent. Ou peut-être qu'à l'infinitif.
Ce que nos regards, saccagés, ravagés, dévastés par des rafales d'images de tout acabit, ne savent plus. Parce qu'ils voient sans regarder. Parce qu'ils ont renoncé à être la patiente exigence qu'ils devraient être, parce qu'il a été facile de succomber aux tentations et aux boniments d'images qui promettent sur tous les tons « Vous allez voir ce que vous allez voir! » D'autant que ces images assurent. (Et donc rassurent...) Elles affirment. Elles assènent des messages - au sens « publicitaire » du mot, messages dont la raison d'être est de susciter un désir, de conduire à reconnaître un désir dont nous ne savions jusque là rien, de convaincre que l'achat d'un produit, ici et maintenant et vite, est une nécessité -, messages donc qui ne souffrent pas la moindre ambiguïté. Ceci est une pipe et n'est rien d'autre qu'une pipe. Cette vessie est une lanterne et cette vessie ne peut rien être d'autre qu'une lanterne. Etc. Nécessité de lire, de relire la Lettre sur les aveugles de Diderot. Il rapporte qu'un certain chirurgien Cheselden « abaissa » les cataractes d'un jeune homme. Et de préciser qu'il fallut à celui-ci « un grand nombre d'expériences réitérées pour s'assurer que la peinture représentait des corps solides : et quand il se fut bien convaincu, à force de regarder des tableaux, que ce n'étaient point des surfaces seulement qu'il voyait, il y porta la main, et fut bien étonné de ne rencontrer qu'un plan uni et sans saillie : il demanda alors quel était le trompeur, du sens du toucher, ou du sens de la vue. Au reste, la peinture fit le même effet sur les sauvages, la première fois qu'ils en virent : ils prirent des figures peintes pour des hommes vivants, les interrogèrent, et furent tout surpris de n'en recevoir aucune réponse : cette erreur ne venait certainement pas en eux du peu d'habitude de voir . » L'erreur commise de nos jours pas les sauvages ne vient sans doute pas plus en eux du peu d'habitude à voir, il vient de leur déshabitude à voir, à savoir voir. Et s'ils ne s'étonnent pas de ce que des figures peintes ne leur répondent pas, ils s'étonnent de ce qu'une peinture, - quand bien même Maurice Denis a confirmé au début du XXème siècle qu'un « tableau, avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées » - ne leur donne aucune réponse précise, sûre et définitive. (La Lettre sur les aveugles qu'il conviendrait d'écrire aujourd'hui ne pourrait que commencer que par cette phrase de Denis Diderot même: « Si un homme qui n'a vu que pendant un jour ou deux se trouvait confondu chez un peuple d'aveugles, il faudrait qu'il prît le parti de se taire, ou celui de passer pour fou . » Puisque j'ai renoncé à me taire...) Ce qui précéde à propos des images peut sembler n'être qu'une digression. ( « Qui sait où l'enchaînement des idées me conduira? Ma foi! ce n'est pas moi . » Le hasard, pertinent, fait que je récupère ces phrases-ci dans son Essai sur la peinture de Diderot...) Il arrive, qu'y puis-je? que la digression soit le chemin le plus court pour passer d'un a priori buté à une hypothèse qui a quelque chance d'être vérifier. Parce que les œuvres de Z. ne cessent pas de faire référence à la « véritable peinture » telle que Roger de Piles a pu la définir, il faut admettre que ni un regard blasé ni un regard qui zappe ne peut lui convenir. Il est nécessaire à ropos de Z. de se souvenir de cette certitude de Cézanne: « L'art ne s'adresse qu'à un nombre excessivement restreint d'individus . » Ce « nombre » ne désigne pas je ne sais quelle élite. Il distingue ceux qui admettent le trouble que provoque une œuvre. Cette inquiètude est la condition de la lucidité.
Dépouillement Les tableaux de Z., sans cheval de bataille, sans femme nue, sans la moindre anecdote, ne sont rien d'autre que des surfaces planes recouvertes de couleurs en un certain ordre assemblées. Z. est de ceux -rares - qui ne doutent pas du pouvoir de la peinture. Ce pouvoir est celui de donner à éprouver un trouble nécessaire. La connaissance n'est pas l'affaire de la peinture. Ni l'information. C'est cette déconvenue, ce trouble, que le XXème siècle a commencé de ne plus admettre. Dans l'un des Discours de Suède prononcés en décembre 1957 , Albert Camus affirme: « La haine de l'art dont notre société offre de si beaux exemples n'a tant d'efficacité, aujourd'hui, que parce qu'elle est entretenue par les artistes eux-mêmes. Le doute des artistes qui nous ont précédés touchaient à leur propre talent. Celui des artistes d'aujourd'hui touche à la nécessité de leur art, donc à leur existence même. » Z. est de ceux -rares - qui ne doute pas de la nécessité de leur art. Quoiqu'il peigne, un torchon, un arbre, une pallissade, une façade ou une main tendue. Torchon qui n'est peut-être pas un torchon, pallissade qui n'en est peut-être pas une, pas plus que la façade ou la main tendue ne sont une façade ou une main tendue... Un témoin rapporte à propos du peintre chinois Ni Yü qu'une nuit, « inspiré, il peignit des bambous. Le lendemain, au réveil, il constata que les bambous ne ressemblaient pas aux vrais bambous. En riant, il s'exclama: ‘Ne ressembler à rien, mais c'est justement ça le plus difficile!' » Et Z., la peinture de Z. ne ressemble à rien. Si ce n'est à une ascèse, à un dépouillement.
Carnets Dans l'incomplète description faite de l'atelier de Z. à Venise, j'ai mentionné des carnets. Ce sont d'épais carnets reliées de toiles noires. Et chacun d'entre eux est une manière de journal d'ébauches, d'essais. Pages datées. Ce sont des esquisses, des variations sur un même thème repris, repris encore. Et le thème peut avoir été donné par une carte postale, par une photographie découpée dans un quotidien, une revue, par un dessin. Et page après page, l'espace se change ou c'est la composition d'une nature morte qui est modifiée, ou l'inventaire des objets rassemblés qui n'est plus le même. Une bouteille a disparu. Ou c'est un torchon de cuisine, un banal torchon bordé de liserets rouges qui tient lieu de nappe. Ou c'est, sous une voute, un miroir qui a été accroché. Ou... Apparitions. Disparitions. Essais. Ce sont des traits serrés à la mine de plomb. Ou c'est de la gouache, mate, opaque. Ou... Variations techniques. Reprises. Ressassements. Comme des rabâchages qui reviennent encore et encore sur ce que sont les apparences, ou plutôt sur ce que sont les conditions de ces apparences, ou plutôt sur la nécessité de désencombrer ces apparences de ce qui est vain, de ce qui est inutile, de ce qui ne serait qu'un savoir-faire, qu'une combine, un procédé... Comme s'il fallait à Z. se défier de ce qu'il sait n'être, ne pouvoir être qu'un tournemain. Obstination qui conjure la virtuosité, l'échec que serait le recours à la virtuosité. (Cette méfiance l'a conduit tôt, il avait vingt ans, un peu plus de vingt ans, à se contraindre à dessiner de la main gauche...) Comme enfin s'il lui fallait se dépouiller de stratagèmes qui empécheraient de reconnaître, de retrouver l'étonnement, la force immédiate et pertinente à laquelle il a eu à faire et qu'il lui faut rendre, nette. Dont il lui rendre la puissance qu'il a lui-même éprouver. Comme si, au bout du compte, Z. traquait je ne sais quel dépouillement d'écorché... Et il y a dans ces carnets - j'y reviens par ce qu'ils me semblent exemplaires -, il y a de page en page, les techniques qui s'imbriquent. Singularité incomparable de Z. : il peint comme il dessine, dessine comme il peint, grave comme il dessine, comme il peint. Les conventions qui distinguent les techniques et semblent induire qu'une huile ne puisse être peinte que sur toile ou sur panneau, qu'une encre de Chine ne puisse comme une mine de plomb n'avoir d'autre support que le papier, ne le concernent pas. Remarque à faire à la lecture de la liste des œuvres exposées : nombreuses sont celles dont le titre est accompagné de cette mention : « technique mixte ». Ou c'est encore: « Tempera et collage sur papier marouflé sur toile », ou « tempera, collage et aquarelle sur papier » ou « crayon, tempera, collage » ou « crayon de couleur, aquarelle et tempera sur papier » ou encore pour l'œuvre gravé « pointe sèche, eau-forte et aquatinte »...
Technique mixte De quoi cette imbrication de techniques est-elle le signe? Je ne sais... C'est comme si... C'est comme s'il fallait à Z. reprendre une gravure -eau-forte et pointe sèche - avec la peinture pour conjurer, assourdir ou creuser encore le une ombre d'encre avec une tache de couleur... C'est comme s'il lui fallait provoquer je ne sais quelle confusion, qui l'épargne de s'entendre qualifier de « réaliste »... Sur le dessin d'une fenêtre sur une feuille de papier journal encollée sur une toile, Z. colle encore une autre feuille de papier journal sur le rectangle d'un carreau. Carreau qui aura été brisé et qu'il est hors de question de remplacer aussitôt... Les deux pages de quotidien n'ont pas le même rôle - l'une à le rôle du support, l'autre est un accessoire qui amorce un récit, l'ébauche et feint de jouer le jeu de je ne sais quel naturalisme... C'est comme s'il lui fallait lorsqu'il découpe une façade avec la diagonale d'un aplat blanc mettre en évidence et dénoncer l'arbitraire, la convention de ce que serait, de que pourrait être la lumière brutale d'un midi... C'est comme si, parce que les plis d'une nappe étalée sur une table se creusent sur une feuille de papier journal encore, Z. engageait un dialogue avec des collages cubistes... Le rapport que Z. entretient avec les maîtres de quelqu'époque que ce soit est, semble être du même ordre que celui que put avoir le peintre chinois Shitao. Dans ses Propos sur la peinture du moine Citrouille amère publiés vers 1710, il écrivit : « Quant à moi, j'existe par moi même et pour moi-même. Les barbes et les sourcils des Anciens ne peuvent pas pousser sur ma figure, ni leurs entrailles s'installer dans mon ventre ; j'ai mes propres entrailles et ma barbe à moi. Et s'il arrive que mon œuvre se rencontre avec celle de tel ou tel autre maître, c'est lui qui me suit et non moi qui l'ai cherché . » Ces reprises, collages, taches, traits, semblent être le même avertissement : aucune technique qui puisse, seule, prétendre rendre compte de ce qui est à voir. Ou peut-être faut-il, pour que la peinture soit vue encore, que tous les moyens qui peuvent donner à voir soient requis. Nécessité de mettre en évidence que rien de ce qui est montré n'est ce qu'il paraît être... Cette nécessité et la rigueur qu'elle implique ont conduit Z. à s'en tenir à quelques thèmes. Ils sont les mêmes depuis qu'il est peintre -je me refuse à employer une expression du genre « le début de sa carrière », parce que le mot « carrière » y a je ne sais quel allure de compromission avec des attendus du marché de l'art ou des institutions officiellement en charge d'un art contemporain international... Brève énumération de ces « sujets »: les natures mortes, les façades, les mains, les arbres, les fenêtres. C'est par l'ensemble de ces thèmes et par chacun d'entre eux que se définit la singularité de la peinture de Z.
...à propos des natures mortes
Ce n'est rien, presque rien. C'est une chaise sur le dossier de laquelle on a jeté un linge, un drap blanc, une toile à matelas rayée. C'est un lit défait, les draps bousculés, repoussés, rejetés, les courbes de plis froissés. C'est une table, espèce de trapèze déhanché. Y traînent encore quelques assiettes sales, une bouteille, des torchons, une boite de conserve ouverte de laquelle dépasse le manche d'un couvert. Et du pain, des pains. Des pains rompus. D'autres qu'on aura coupé au couteau. D'autres inentamés dont la croûte griffe la lumière. C'est un chevalet. Et d'autres linges ou les mêmes qui pendent. Donc ce n'est rien, presque rien. Ce sont des objets humbles, banals, quotidiens. C'est là. Ca a été mis, laissé là. Point. Et ça n'a pas d'autre raison d'être que d'être là. Pour la peinture. Par la peinture.
La nature morte ne cesse pas d'être la réfutation de cette pensée (116) de Pascal : « Quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration par la ressemblance de choses dont on n'admire point les originaux . » Exclamation de mépris qui ne tient aucun compte de l'affirmation de la Poétique d'Aristote (1448 b 10) : « Nous avons plaisir à regarder les images les plus soignées des choses dont la vue nous est pénible . » Les natures mortes de Z. ne sont pas des arguments de cette controverse ; elles dialoguent avec la plus ancienne des traditions occidentales. Les natures mortes que sont les tables non desservies de Z. dialoguent avec les mosaïques décrites dans l' Histoire naturelle de Pline l'Ancien (Livre 36, paragraphe 184) Pline rapporte qu'à Pergame, un certain Sosos, artiste le plus célèbre dans l'art de la mosaïque, mit en place l'une d'entre elles qui fut nommée la « pièce mal balayée » ( asarotos oikos ) parce qu'y étaient représentés « les reliefs du repas et tout ce qu'il est coutume de balayer comme si cela avait été laissé ». Elles dialoguent avec ces affirmations de Fernand Léger : « L'objet par lui-même est capable de devenir une chose absolue, émouvante, tragique » ou « L'objet, dans la peinture moderne actuelle, devrait devenir personnage principal et détrôner le sujet ». Elles dialoguent avec cette certitude de Picasso : « Nommer voilà! En peinture, on ne peut jamais arriver à nommer les objets . » Elles dialoguent encore avec l'affirmation d'Alberto Giacometti : « Enlevez le sujet, vous enlevez la peinture », et celle de Barnett Newman: « La question cruciale de la peinture est le sujet . » Digression pour un paradoxe. Lors d'une conférence de l'Académie royale de peinture et de sculpture en 1669 Félibien assura : « Ainsi celuy qui fait parfaitement des païsages est au-dessus d'un autre qui ne fait que des fruits, des fleurs ou des coquilles. Celuy qui peint des animaux vivants est plus estimable que ceux qui ne représentent que des choses mortes & sans mouvement . » Ce mépris institutionnel n'a pas empêché que la nature morte ne cesse d'être à l'ordre du jour pendant des siècles et des siècles. Et la modernité n'a pas congédié ce genre... La nature morte est, avec le portrait, le plus ancien, le plus permanent sujet de la peinture. Comme s'il lui revenait de réfuter l'histoire, ce qu'elle suppose de circonstances, de causes, de conséquences et de péripéties. Parce qu'il lui revient de montrer ce qui est là. Ici et maintenant. Il ne s'agit que de l'éphémère. Que d'un dialogue tragique avec le temps. Cette fleur coupée ne peut que se faner. Ce fruit cueilli ne peut que se taller, se flétrir. Cette dépouille d'un lièvre ne peut que pourrir. Cet objet ne peut que s'ébrécher, que casser. Une boite de conserve ne change rien à l'affaire. Au delà de la date limite imprimée sur le fond... Et le pain va rassir, et le vin va vinaigrer... Terrible unité de temps (maintenant), de lieu (l'espace étroit, restreint d'une table, d'un étagère, du siège d'une chaise, d'une niche...), d'action (un suspens entre ce qui s'est passé et ce qui va arriver). La nature morte considérée comme une tragédie. La nature morte injonction, avertissement. Nous n'avons ici-bas chose aucune assurée. Tout change et notre vie a si peu de durée Qu'en commençant à vivre on commence à mourir
Les natures mortes de Z. sont aussi ces discours. Elles sont ce confus et implacable propos de vie coye , de vie silencieuse - appellation ancienne à laquelle, pourquoi? comment? impossible d'en savoir rien, le XVIIIè siècle a substitué l'expression nature morte . Et elles sont une autre sommation. Les pains de Z., ces pains rompus ou coupés, ces pains intactes, ne sont pas peints pour provoquer une réaction à la Diderot qui, en 1759, devant un « retour de chasse » de Chardin, s'exclame: « C'est toujours la nature et la vérité ; vous prendriez les bouteilles par le goulot, si vous aviez soif ; les pesches et les raisons éveillent l'appetit et appellent la main ». (Enthousiasme auquel répond la remarque narquoise de Paul Eluard : « On dit d'une bonne copie d'une pomme : On en mangerait. Mais il ne viendrait à personne l'idée d'essayer . ») Ces pains, ces natures mortes de Z., ont à faire à ces phrases de l'une des conférences prononçées à Stockholm par Albert Camus, celle du 14 décembre 1957: « C'est cela et pourtant ce n'est pas cela, le monde n'est rien et le monde est tout, voilà le double et inlassable cri de chaque artiste vrai, le cri qui le tient debout, les yeux toujours ouverts, et qui, de loin en loin, réveille pour tous au sein du monde endormi l'image fugitive et insistante d'une réalité que nous reconnaissons sans jamais l'avoir rencontrée . » Ce n'est pas un hasard si, d'année en année, le pain, le seul pain, a pris de plus en plus d'importance dans l'oeuvre de Z. Parce que le pain est dans la civilisation occidentale le plus intense des symboles, parce qu'il est le signe du pain de vie , parce qu'il peut être le signe de l'eucharistie, qu'il peut être ce pain qui, selon saint Clément d'Alexandrie, nourrit « les affamés de justice », parce que ce pain demeure au-delà de toute foi le pain quotidien, sa représentation est plus chargée de sens qu'aucune autre. Les pains de Z. leur apparence de leurre dans un espace qui n'est et ne veut pas être la moindre illusion, ces pains mis en place dans un espace qui peut n'être que taches, traces, balafres de peintures, ces pains qui ne sont là ni pour être rompus ni pour être coupés, sont un rappel à l'ordre. Ils semblent désigner l'urgence d'une prise de conscience. De quel ordre? Les natures mortes de Z. semblent sommer de la nécessité de se souvenir que toute esthétique doit être une éthique. Qu'elle doit être une éthique, sans quoi elle n'est rien.
...à propos de façades
Ce sont des façades. Ou plutôt, pour reprendre le titre par lequel Z. les désigne, de « Grandes maisons ». Grandes... Sans échelle. Ces maisons ne sont que façades. Rien d'autre. Pas de sol où les fondations s'enfoncent qui soit seulement désigné par un trait. Pas de ciel pour les surplomber. L'espace de la toile n'est que cette façade, que les accidents de cette façade, de ces façades. J'hésite entre le singulier et le pluriel. Parce que ces façades peintes en 1978, en 1988, en 1991, en 1993, en 199, etc., sont la même toujours. Mêmes maisons humbles. De celles que l'on a aucune raison de regarder. Façades irrégulières de l'examen desquelles il est impossible de déduire aucun plan. Façades changées, modifiées. Damier bancal de fenêtres occultées, bouchées, d'autres percées. Façades abîmées, décrépites. L'enduit a des allures de croûte. Une croûte qu'un ongle aurait gratté. Cette description sous-entend que ces toiles seraient une sorte de constat. Ce qui est faux. Ces façades sont peut-être le souvenir d'une seule. Celle d'une maison de Sarajevo. De l'une de ces maisons abandonnées par leurs propriétaires et qu'occupent à la fin de la guerre, à la fin des années 40, des familles de toutes origines. C'est une pareille façade que Z. regarde depuis la fenêtre de l'atelier de cordonnier de son père. Et c'est de cette façade dont il se souvient, de ce qu'elle raconte de la vie de cette famille à deux fenêtres, de cette autre qui en a trois, de l'habitude que celui-là a de ranger ses bouteilles de vin en rang derrière le carreau de gauche, du soin que prend cette femme de poser, dès que le temps le permet, le pot de géranium sur le bord de la fenêtre entrebâillée, de la pudeur de ce jeune couple qui semble vouloir se cacher derrière des rideaux à carreaux qui ne sont jamais tirés, de la gène de cette veuve qui a dû se résigner à coller un journal sur un carreau brisé. Et la feuille de journal n'en finit pas de se délaver, de jaunir... C'est de ce que raconte cette façade dont se souvient Z. Et c'est cette mémoire qu'il peint. Et cette mémoire triche, confond, brouille. Les fenêtres se décalent. Aucune qui soit exactement à l'aplomb de l'autre. Et les fenêtres, sur cette même façade ne sont pas à la même échelle. Et là, les chambranles se chevauchent. Ou c'est cette autre fenêtre encore qui est ouverte vers l'extérieur et dont le dessin de rideaux au crochet dans le rectangle même de la fenêtre prouve qu'elle est fermée. Et c'est l'enduit du mur qui est gris, qui est beige ou qui a l'éclat blanc d'une chaux que l'on vient de passer. Et puis c'est le dessin d'une bicyclette posée contre un mur au niveau d'un troisième étage. Ce qui interdit d'être certain que la chaise ébauchée en bas de la toile, en dépit des massifs feuillus qui la flanquent, soit posée sur le sol même... Ebauche d'un inventaire des inconséquences de la mémoire. Et Z. peint les façades vénitiennes comme il peint cette façade de Sarajevo. Façades dont il est hors de question de déterminer sur quelle calle ou quel campo , sur quelle ruga ou rughetta , sur quelle riva ou quel rio elle donne (sauf si, rare exception, paraît, oblique devant la pierre d'un parapet grêlé comme une éponge, l'un de ses pieux plantés dans la boue grasse des canaux). Façades effritées. Façades tachées, ici, là, d'une manière de mousse croupie. Encadrements de marbre de fenêtres qui prend des teintes d'aquarelle très délavée. Briques découvertes qui semblent avoir des tristesse de rouille. Inutile devant ces façades-ci de se souvenir de la question qu'a pu poser Théophile Gauthier à Venise: « Est-ce l'eau qui reflète le ciel ou le ciel qui reflète l'eau? (...) L'œil hésite et tout se confond dans un éblouissement général . »
Point commun de ces façades, qu'elles soient celles de la mémoire, qu'elles soient celles de Venise, qu'elles soient celles de la mémoire de Venise : leurs couleurs. Couleurs anciennes. Couleurs d'ancien pigments. Couleurs de terres. Terres de Sienne. Terre de Sienne brûlée. Terre d'Ombre (dite d'Ombre parce qu'elle provient d'Ombrie). Terre de Cassel. Remarque : au-delà de ces terres, quoiqu'il peigne, un pain ou une bassine sur une table, une serviette jetée sur le dossier d'une chaise ou une étreinte, Z. semble avoir fait le choix de s'en tenir à ces couleurs naturelles, avoir renoncé à ces nuanciers capables d'égrener une vingtaine de verts, du vert de cobalt pâle au vert anglais, en passant par le vert d'Antioche foncé, le vert de vessie stable et le vert de Chine. Du blanc de plomb au noir de pêche (ou d'os peut-être), ces couleurs vont du jaune de Naples, à l'ocre jaune, au jaune de cadmium clair, au carmin, à la garance, à la terre verte, au vert oxyde de chrome. Enfin du bleu de cobalt (auquel il a recours parcimonieusement, là pour le chambranle d'une fenêtre, ailleurs pour une bande horizontale, pour la convention d'un ciel bleu derrière la masse touffue d'un arbre). Ce choix d'une palette rigoureuse, économe, est le signe d'une volonté : celle d'imposer aux formes un ordre qui ne dépende que de son art. Un art qui est une ascèse.
...à propos de mains
Des mains. Des mains tendues. Paumes ouvertes. D'abord, il n'y a que cela, que ces bras serrés, nus - il n'y a que le blanc d'une manche de chemise - que ce fagot, que cette botte hérissée de bras. Un seul et même geste d'exclamation. Un même appel. (Geste qui ne saurait être celui d'un dieu ou de dieux dont les attitudes ne sont, ne semblent être qu'ordre, qu'injonction. Ou miséricorde.) Ce mouvement, cet élan, est celui d'une prière qui adjure, supplie. Prière pressante. Le temps de l'urgence. (Inutile d'avoir recours à L'arte de' cenni, con la quale formandosi favella visible, si trotta della muta eloquenza, che non è altro che un facondo silenzio - L'art des gestes, où grâce à la formation d'un langage rendu visible, on traite de l'éloquence muette, c'est à dire d'un silence bavard - qu'un certain Giovanni Bonifacio publia à Vicence en 1616, pour en lire le sens. Inutile de vérifier auprès d'un certain Bartolomeo Maranta qui assura en 1575 que « non è pero membro che a tutte le varietà del dire (che sono infinite) possa i suoi atti accomodare, se non le mani, che in un certo modo, si possono dire che veramente parlino » (il n'y a pas d'autre membre capable d'accorder ses positions à la diversité des paroles - laquelle est infinie - sinon les mains; en un certain sens, on peut dire qu'elles parlent vraiment), pour déchiffrer ce que crient ces mains.) Collée au bord gauche de la toile, une photographie. Photographie de mains tendues vers un pain. Photographie vue et revue. Obscène banalité. Des réfugiés. Et les vivres que distribue une O.G.N. Reste que cette photgraphie ne précise rien. Quel événement, quelle catastrophe, quelle inondations, quel ras-de-marée ou quel tremblement de terre, quels affrontements, quels combats, quelle guerre civile, quels massacres ont contraint ces hommes à fuir, les a laissés démunis, les a réduits à cette dépendance, leur a infligé cette humiliation d'avoir à implorer un bout de pain? De quel exode, cortège de tracteurs, de charettes, de carioles, de quel « nettoyage ethnique » ou « purification ethnique » sont-ils victimes? « Nettoyage ethnique », « purification ethnique »... Je ne cite ces expressions cyniques et nauséabondes, que parce que je sais qu'en 1992 Z. a été contraint par la guerre de quitter Sarajevo... Ce que tait cette toile.
Ce sont des mains. Des mains tendues. S'il s'agit de la guerre, de quel temps de la guerre s'agit-il? quel événement de la guerre des Balkans désignent ces mains? Dès 1912, date du déclanchement de la première guerre des Balkans, des déportations de millions de personnes ont commencé. Un traité permit en 1923 à la grèce, à la Bulgarie et à la Turquie de mettre en place - euphémisme terrible - une « homogénéité ethnique ». En 1991, la guerre en Croatie a jeté sur les routes quelques sept cents cinquante mille réfugiés. Et la guerre en Bosnie, surenchère implacable, a provoqué les départs de plus de deux millions et demi d'autres personnes encore. Que sont ces mains? celles de Bosniaques, de Serbes de la Krjina croate, d'Albanais refoulés au-delà des frontières du Kosovo, de... Ces mains, ces mains tendues, ces mains peintes sur des feuilles de journal collées sur la toile - dérisoire allusion à une actualité - sont une allégorie. Immédiatement lisible et universelle. (Ce qui est le propre de l'allégorie...) Que sont ces mains? Il n'y a pas de réponse. Comme il importe peu de savoir qui est cet homme qui écarte les bras dans la lumière d'une lanterne posée au pied d'un peloton d'exécution, qui est ce Christ en chemise blanche du Tres de Mayo de Goya. Il suffit qu'il soit le martyre laïc, le martyr politique de toute oppression. Et ces mains ne sont l'allégorie des privations des réfugiés que parce qu'elles sont ces balaffres de couleurs, ces signes... Reste à se demander pour quelle raison Z. a tenu à coller là, en évidence, cette photographie qui rend compte de ce que fut tel jour à telle heure une distribution de vivres à un poste frontière, sur la place d'une ville privée de tout approvisionnement par des combats, par un blocus, ou dans un camp de réfugiés? Cette photographie n'est pas collée là pour une démonstration. Inutile d'inventorier les différences entre elle et le faisceau de bras qu'est la toile même... Ce n'est pas pour cet exercice imbécile que Z. a collé cette photographie là. Et sans doute n'est-ce pas pour provoquer je ne sais quelle méditation sur la place que l'histoire occupe dans son œuvre. Pour quelles interrogations cette photographie est-elle là? Et si, hypothèse, elle était là pour provoquer ces interrogations même? Pour retenir le regard sur ces images, sur cette image qu'en feuilletant un journal on aura vu, comme on aura vu à la page suivante une poignée de main diplomatique, comme on aura vu plus loin encore le tir au but d'un ailier dans la demi-finale d'un championnat, sans la regarder davantage, parce qu'elle est devenue insignifiante et donc invisible... Et si, hypothèse, elle était là pour sommer le regard, le vôtre, le mien, de regarder. La peinture de Z., piège du regard.
...à propos d'arbres
D'emblée l'arbre, le thème de l'arbre retient Z. Dès 1968. Il a vingt cinq ans. Ce qui n'est pas un hasard. L'arbre est un défi pour la peinture. Et il l'est depuis des siècles. Ce qui est sans nul doute une raison essentielle pour que Z. veuille le prendre à son compte. Il y aurait une anthologie à consacrer à la place singulière qu'occupe l'arbre parmi les soucis des peintres. Une pareille anthologie irait, dans l'ordre chronologique, de Leon-Battista Alberti à Matisse. Elle commencerait par la volonté d'Alberti qui exige, dès 1435, « que les branches se plient et se courbent, tantôt arquées vers le haut, tantôt tirées vers le bas, que tantôt elles sortent et que tantôt elles rentrent, qu'elles soient tordues comme des cordes » Elle s'achéverait sur la détermination de Matisse : « Il me faut créer un objet qui ressemble à l'arbre. Le signe de l'arbre. Et pas le signe de l'arbre tel qu'il a existé chez d'autres artistes. » (Matisse se souvient, entre 1892 et les années suivantes il a préparé le concours d'entrée à l'Ecole des Beaux Arts, avoir rencontré de « ces peintres qui avaient appris à faire le feuillage en dessinant 33, 33, 33, comme vous fait compter le médecin qui ausculte »...) Cette anthologie consacré au thème de l'arbre passerait par cette note des Carnets de Léonard de Vinci : « Les arbres d'un paysage ne se détachent pas nettement l'un de l'autre, car leurs parties éclairées confinant aux parties éclairées de ceux qui sont placées au-delà, la différence entre les ombres et lumières est insensible. » Elle citerait le constat fait par Roger de Piles dans le Cours de peinture par principes publié en 1708 : « Ceux qui n'ont jamais fait de paysages et qui veulent s'y exercer trouveront dans la pratique que leur plus grande peine sera de peindre les arbres; et il me paraît aussi que non seulement dans la pratique, mais encore dans la spéculation, les arbres sont la plus difficile partie du paysage, comme ils en sont le plus grand ornement ». Elle citerait encore cette page du Journal de Delacroix qui, à Champrosay où il aime à se retirer, note après une promenade en forêt entre bruyères et fougères au soir du mercredi 12 octobre 1853 : « Sur l'imitation de la nature, ce grand point de départ de toutes les écoles et sur lequel elles se divisent profondément, aussitôt qu'elles l'interprètent, toute la question semble se réduire à ceci: l'imitation est-elle faite en vue de plaire à l'imagination ou de satisfaire simplement une sorte de conscience d'une singulière espèce qui consiste, pour l'artiste, à être content de lui quand il à copié aussi exactement que possible, le modèle qu'il a sous les yeux? »
« ... après avoir bien observé la nature des arbres et la manière dont le feuilles s'écartent et se rangent, et dont les branches sont refendues, il faut s'en faire une vive idée afin d'en conserver partout l'esprit, soit en les rendant sensibles et distinctes sur les devants du tableau, soit en les confondant à mesure qu'elle seront éloignées. Enfin, après avoir contracté de cette sorte quelque habitude d'après les bonnes manières, on pourra étudier d'après nature en la choisisant et en la rectifiant sur l'idée que des grands maîtres en ont eu . » Il est vain de chercher à savoir ce que Z. aurait pu faire d'un pareil conseil de Roger de Piles... Peut-être à la lecture des mots « l'idée que des grands maîtres en ont eu », aurait-il songé à cette expression de défiance de Matisse : « le déchet de l'expression des autres »... Depuis plus de trente ans Z. dessine, grave, peint des arbres. Peut-être pour s'éprouver jusqu'à l'épuisement face à cette prolifération de formes, cet enchevêtrement de lignes et de masses, cette abstraction indistincte et touffue à laquelle il lui revient de donner sens, à laquelle il lui faut conférer la seule réalité qui vaille, réalité de lignes, de taches, de traits et de traces, peut-être pour éprouver et faire éprouver cette ivresse des apparences qu'est un style.
...à propos de fenêtres
« Je trace d'abord sur la surface à peindre un quadrilatère de la grandeur que je veux, fait d'angles droits, et qui est pour moi une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l'histoire . » Cette phrase est de Leon-Battista Alberti. Phrase capitale du traité De Pictura rédigé en 1435, traité lu et relu par les humanistes, lu et relu encore par les peintres, premier traité consacré à la peinture. C'est par cette phrase que la peinture a commencé d'être une fenêtre. Ce qu'elle est restée des siècles. Comme Z. a fait le choix dès qu'il a commencé à peindre d'affronter le thème de l'arbre, si le thème de la fenêtre occupe une place si importante dans son œuvre depuis des années, c'est parce qu'il le somme de faire face aux enjeux fondamentaux de la peinture même. Ce n'est pas un hasard si, à l'automne de 1920, alors qu'il vient de faire le choix du pseudonyme de Rose Sélavy, Marcel Duchamp attribue à cette Rose la fenêtre fermée qu'est Fresh widow . Les huit carreaux de cette fenêtre réalisée par un charpentier sur les instructions strictes de Duchamp sont couverts de cuir noir. Noir du deuil. Du deuil de la peinture. Inutile de chercher à voir quoique ce soit par cette french window , cette porte-fenêtre dérisoirement nommée Fresh widow (« Veuve fraiche »). Fraiche comme l'est la peinture fraiche avec laquelle l'on risque de se tacher, peinture dont il faut se méfier, peinture dont il faut se tenir à distance. Z. n'a d'emblée que faire de cette veuve. Ou plutôt, il lui faut lui tenir tête. Et pourquoi pas en jouant le jeu du ready-made?... En 1973, Z. récupère une fenêtre. Pour l'ouvrir. Pour l'ouvrir sur une huile sur toile. Le choix de cette fenêtre, le choix du ready-made qu'est cette fenêtre récupée sans doute sur la décharge d'un chantier de démolition, de cette fenêtre à laquelle Z. accroche des rideaux, de petits rideaux blancs du genre rideaux de bonne-femme, autre ready-made, n'est pas un pied de nez de Z. à Duchamp. Il l'est à un legs devenu norme totalitaire. Norme au nom de laquelle certains dressèrent l'acte de décès d la peinture.
Hypothèse : Z. a dessiné, a gravé de nombreuse palissades. Certaines coiffées par la masse touffue d'une feuillée. D'autres qui sont les seules bandes verticales de planches. Ces palissades de Z. seraient-elles une allusion à une œuvre de Duchamp qui ne fut découverte que le 7 juillet 1969 au Museum of Art de Philadelphie, neuf mois très exactement après la mort de Duchamp même? Cette œuvre posthume a pour titre : Etant donnés : 1- la chute d'eau, 2-le gaz d'éclairage . C'est un montage composé d'une vieille porte, de briques, de branchages, etc. Le titre de ce montage ne prend son sens que si, curieux, l'on glisse un œil entre les planches disjointes. Au fond d'un paysage bas apparaît alors une « chute d'eau ». Quant au « gaz d'éclairage » il est celui d'une lampe tenue par une femme étendue. Cette femme allongée est nue. Ses cuisses sont écartées sur un sexe glabre. Sur un sexe pareil à celui de L'origine du monde de Courbet, mais qui aurait été rasée, épilée... Et le « regardeur », pour reprendre un mot de Duchamp, découvre qu'il est devenu « voyeur »... Hypothèse donc: et si ces palissades de Z. étaient une réponse à Marcel Duchamp? Et si elles étaient cette question: à quoi bon être « voyeur » si l'on ne sait pas même ce que « regarder » veut dire? Inutile de chercher à glisser un œil entre les planches des palissades de Z.
J'en reviens aux fenêtres de Z. J'en reviens à la phrase d'Alberti: « Je trace d'abord sur la surface à peindre un quadrilatère de la grandeur que je veux, fait d'angles droits, et qui est pour moi une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l'histoire . » Dès le début des années 70, Z. a commencé de tracer de pareils quadrilatères. C'est, exemple parmi d'autres, en 1972, un dessin à l'encre de Chine qui a pour titre Grande salle avec balcon . Des fenêtres de part et d'autre d'une porte fenêtre ouverte. Des fenêtres qui donnent sur l'histoire. Il n'est pas sûr que ce mot d'« histoire », d'« historia », écrit pas Alberti ait jamais désigné un récit quelconque, une quelconque anecdote. Sans doute Alberti exige-t-il que la peinture montre, raconte. Reste que dans sa définition la plus rigoureuse, la plus formelle, l'« histoire » est d'abord une composition. Ce que sont les fenêtres de Z. Fenêtres devenues sujet. Sujet décliné depuis quelques trente ans.
...à propos de l'Hommage à Rembrandt
C'est en 1999 que Z. commence à travailler d'après La Pièce aux cent florins de Rembrandt. Auteur du premier catalogue de l'œuvre gravé de Rembrandt publié en 1751, Gersaint raconte : « On prétend qu'un jour un marchand de Rome proposa à Rembrandt quelques estampes de Marc-Antoine auxquelles il mit un prix de cent florins, et que Rembrandt offrit pour prix de ces estampes ce morceau que le marchand accepta, soit qu'il voulût obliger par là Rembrandt, soit que réellement il se contentât de cet échange. J'ai vu du reste au musée d'Amsterdam une magnifique et première épreuve de la Pièce au cent florins qui porte écrit au dos, en vieux hollandais : Donné par mon estimable ami Rembrandt, en échange d'une épreuve de Marc-Antoine. Signé Z.P. Zoomer . » Cette Pièce au cent florins mesure 27,8 par 38,4 centimètres. (Et 34,5 par 46 centimètres si l'on tient compte des marges de certaines épreuves.) Elle n'est ni signée ni datée. (Des études et des déductions rigoureuses s'accordent à supposer qu'elle aurait été achevée vers 1649, après une dizaine d'années de travail.) Plus personne ne tente de lui donner un autre titre que celui que la tradition a entériné. Sans doute parce qu'aucun des titres que certains se sont risqués à proposer comme La Prédication du Christ ou Notre Seigneur guérissant les malades ne suffit à rendre compte de tous les épisodes du chapitre XIX de l'évangile selon saint Matthieu que Rembrandt a pris pour modèle. La foule rassemblée et les malades parmi eux correspondent au deuxième verset : « De grosses foules le suivirent et, là il les soigna. » Le groupe de vieillards qui semblent débattre sur la gauche sont sans doute les pharisiens qui ont demandé au Christ pour le mettre à l'épreuve si l'on a « le droit de renvoyer sa femme pour n'importe quel motif .» Le Christ a écarté ces pharisiens comme il a écarté ses disciples par les mots : « Comprenne qui peut comprendre. » Les enfants, celui qui court, celui que porte une mère sont ceux pour lequel le Christ ordonne à ses disciples : « Laissez les enfants, ne les empêcher pas de venir à moi . » Le jeune homme assis qui médite est sans doute ce jeune homme riche auquel le Christ vient de demander de vendre ses biens. Il vient de lui dire qu'il est « plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le règne de Dieu », affirmation que rapporte de vingt-quatrième verset. Et le chameau même est représenté sous la haute voûte qu'à droite éclaire doucement une lointaine lumière. Paradoxe : Z. dont l'œuvre n'est que silence, silence des natures mortes, silence des arbres, silence des façades et des fenêtres, silence des mains qu'il a pu peindre, a fait le choix de la seule estampe de Rembrandt qui bruisse de tant de récits qu'aucun titre ne peut prétendre la désigner... Autre silence... Cette estampe incomparable de Rembrandt semble être celle qui lui imposa la plus complexe et la plus longue des élaborations, est l'une des rares où il osa mêler les techniques les plus diverses. Dix ans, semble-t-il de doutes, de patience et de travail acharné. Travail dont témoignent de nombreux dessins. Un dessin du Louvre (Benesch 543), dessin de 1640, un autre encore de 1639 conservé à Berlin (Benesch 188 - ces numéros sont ceux du catalogue de référence des dessins de Rembrandt). Travail dont témoignent d'autre feuilles encore comme ces Etudes pour une femme malade (Benesch 183, Benesch 388), le dessin d'un homme au bras tendu (Benesch 185), l'étude de la jeune mère qui porte son enfant dans les bras (Benesch 1071), etc. Sept études peintes pour le visage du Christ semblent avoir été peintes par Rembrandt pendant le temps où il concevait ce que devait la Pièce au cent florins . Ces toiles laissent supposer que, pour la première fois de sa vie peut-être, c'est à la peinture que Rembrandt a recours pour préparer une gravure... D'ordinaire, ce sont certaines de ses peintures qui ont pu tenir lieu de « modèles » pour des estampes. Rembrandt a recours à un dessin qui n'est qu'un contour pour le groupe des pharisiens. Et il met en place l'ombre la plus profonde, ombre pour laquelle, pour la première fois peut-être, il a recours à la manière noire, technique qui commence de se mettre alors au point. Et peut-être est-ce cette technique qui lui permet d'élaborer pour la première fois sans doute ces demi-tons qui semblent être un commentaire de la pensée de Pascal « S'il n'y avait point d'obscurité, l'homme ne sentirait point sa corruption ; s'il n'y avait point de lumière, l'homme n'espérerait point de remède . » Z. ne fait pas le choix d'une telle estampe, le choix d'une telle complexité par hasard. Cet Hommage à Rembrandt est, ne peut être qu'un hommage aux risques que Rembrandt décida de prendre, à ce qu'ils impliquérent de remises en cause, d'essais, d'inquiètudes et de rages. Hommage qui est une leçon. Et peut-être une « morale ». Une œuvre est une quête et un style.
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